La part de l’ange
Article mis en ligne le 30 juillet 2007
dernière modification le 31 juillet 2007

par jeff

Ca a commencé par un drôle de bruit, comme un oiseau piégé ne trouvant plus la sortie, mais capable de jurer comme un charretier. Un oiseau qui aurait lu Céline.

- Bordel de merde de putain de saloperie !

C’est le juron qui m’a vraiment réveillé. Et puis ce froissement particulier de plumes qui s’agitent, comme quand ma grand-mére fourrait l’oie sous son bras avant de lui couper le cou à¢â‚¬Â¦ En tous cas, à§a n’avait plus rien à voir, ou plutôt à entendre, avec les sons habituels qui me réveillaient parfois la nuit depuis que j’étais venu m’installer ici, à la pointe du Finistére. « L’air iodé, m’avait dit le médecin, vous verrez, l’air iodé c’est tout ce qu’il vous faut ». J’ai allumé la lampe de chevet. Rien dans la chambre. Ca venait de la cuisine, juste derriére la porte. Single, le chien de garde (« de garde », comme on dit d’un vin qui vieillit), n’avait rien entendu mais à§a ne m’étonnait pas : que pouvait-on encore exiger d’un Colley de dix-sept ans parfaitement sourd, aussi fidéle soit-il ?

- Mais c’est pas vrai, bordel !

La voix était surprenante, avec un timbre haut perché, nasillarde et un peu métallique comme celle qui grésille dans les haut-parleurs des garesà¢â‚¬Â¦ Et puis à nouveau un chiffonnement énervé, quelque chose qui se débat, un cri, suivi d’un bruit de verre cassé.

- Merde ! (là , c’est moi qui ai juré).
Je me suis levé, en vrac, plutôt nauséeux. Chaque soirée de dégustation avec mes voisins laissait toujours des lendemains de brume plombée que même le vent breton avait du mal à dissiper. J’ai ouvert la porte et je l’ai vu : il pendait là , accroché au ruban tue-mouchesà¢â‚¬Â¦ Un ange. Enfin, pas vraiment comme on peut se l’imaginer, à part les ailes qui semblaient conformes à la représentation réglementaire, nonà¢â‚¬Â¦ Un visage joufflu, certes, mais rubicond et pas rasé, couronné de cheveux roux en bataille et surmontant un corps étonnant, court sur patte et gras du ventre, ce qui donnait à l’ensemble une apparence de gros pigeon avec la tête de Cohn-Bendit. J’ai ri. Il m’a regardé, apparemment plus en colére qu’apeuré et il m’a dit, avec un léger accent britannique que je n’avais pas repéré tout d’abord :

-En prés de quatre cents ans de pratique, c’est la premiére fois qu’on me fait une saleté pareille ! Je vous demanderai donc de me libérer tout de suite, Sirà¢â‚¬Â¦

Je me suis exécuté. Qu’auriez-vous fait à ma place ? J’ai coupé le ruban adhésif. Mon visiteur a filé sans même me dire merci , laissant dans son sillage des arômes caractéristiques que je me suis surpris à analyser, trés vite : voyonsà¢â‚¬Â¦ ce nez de pain d’épice et de lilas, avec ces notes de fruits mà »rs et deà¢â‚¬Â¦

C’est alors que je me suis avisé des débris de la bouteille qui jonchaient le solà¢â‚¬Â¦ le salaud ! Il avait fini mon flacon de 25 ans d’à¢ge !

La part de l’angeà¢â‚¬Â¦

Ce n’était peut-être pas une si bonne idée de venir passer sa convalescence à côté d’une distillerie, en ce bout d’Armoriqueà¢â‚¬Â¦


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