Ce n’est pas tant le fait de recevoir ce courrier qui m’a surpris, mais plutôt la maniére dont il m’avait été adressé... Mettez vous à ma place : j’ai une boà®te aux lettres fixée au portail de ma maison et donc facile d’accés pour la préposée (oui, c’est souvent une factrice, par chez nous), mon nom figure sur le devant, comme tout à chacun je présume, elle est bleue, métallique, n’aboie pas, et pousse même la gentillesse jusqu’à accepter les plis officiels vecteurs de contrariété, j’ai nommé ceux du Ministére des Impôts. Bref, je me loue d’être l’heureux propriétaire d’une boà®te aux lettres bien elevée que personne n’a pu prendre en défaut à ce jour. Alors pourquoi la snober de cette maniére ? Pourquoi faire fi de ses capacités intrinséques et, pour tout dire, de qui se moque t-on ?
C’est ce que je me disais hier aprés-midi, en décachetant ce curieux message que j’avais trouvé dans une jardiniére qui ornait le petit balcon minuscule prolongeant ma bibliothéque, à l’étage. Comment cette correspondance avait-elle pu échouer ici, et quel coup de vent malicieux ou quel acrobate téméraire avait bien pu choisir ce récipient pour l’y laisser là ?
C’était une invitation. Pour le soir même. On me priait d’accepter de participer à un repas "convivial" qui aurait lieu chez un particulier "qui désire faire votre connaissance". Le style de l’écrit m’intrigua : l’auteur mêlait agréablement érudition et malice pour me convaincre de l’incongruité de mon refus, inconcevable pour lui, vu "le rapport quasi charnel dans lequel vous frayez désormais avec les anges..."
Qu’est-ce que c’était que ces conneries ? Et qui lui avait parlé de mon ange, à ce... (je cherchais la signature).. Xtof ? Oui, c’était bien à§a, Xtof... Mais le plus étonnant de l’affaire, c’est cette maxime qui terminait la lettre :
"Et ne nous délivrez pas du malt !"
J’appréciai le jeu de mot, notai la connotation plutôt anticléricale qui n’était pas pour me déplaire mais me sentis soudain mal à l’aise, comme si quelqu’un m’observait à cet instant précis et guettait mes réactions. Je jetai un coup d’oeil par la porte-fenêtre, la refermai et tirai les rideaux.
Je crus alors entendre alors un froissement d’aile, comme si un oiseau s’envolait de mon balcon...
On sonnait à ma porte. J’ai glissé la lettre dans ma poche et je suis descendu. Je n’attendais personne. Ca tombait bien, c’était elle... J’ai remisé mes histoires d’ange et de malt dans la table de nuit. Un inconnu m’invitait quelque part, mon soleil me rejoignait ici, le choix fut rapide.
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En me réveillant, tout m’est revenu en mémoire. Et dans l’ordre : la jardiniére, la lettre, l’invitation. Une sacrée trilogie. Que j’avais envie de comprendre. La nuit était tombée et mon soleil enfui. Alors je suis sorti, juste armé de l’adresse de mon épistolier. C’était facile, il habitait cette tour étonnante au toit circonflexe qui surplombait le village et que l’on avait restaurée méticuleusement, à tel point que durant plus de six mois il avait été pratiquement impossible aux riverains d’accéder à leurs appartements sans risquer de se prendre un parpaing ou un pot de peinture sur la tête.
Rue Cagliostro. J’y suis trés vite. Les rares boutiques ont leurs visages fermés. Je cherche sur les boà®tes aux lettres, au numéro indiqué, la présence de mon correspondant. Pas de Xtof. Je reluque un peu partout. Une plaque de cuivre sur le mur :
CHRISTOPHE
Consultant du superflu
Diplômé de la Faculté de s’émerveiller d’un rien
(Dernier étage)
Cest mon homme. Je le sens. La vieille grille d’accés à la tour est ouverte, je m’y engouffre. Sept étages. La tour compte sept étages, et bien sà »r sans ascenseur. J’ai monté les escaliers, avec ce petit picotement au coeur que je connais bien et qui m’accompagne dés qu’une rencontre inopinée ou un déréglement quelconque risque de créer des turbulences dans ma ouate...
Je suis au dernier étage. Le coeur tape fort, le souffle est court, mais c’est trop tard. Une seule porte sur le palier. Aucune inscription. Pas le moindre encouragement, la plus infà®me complicité... Je suis seul.
Et la porte s’ouvre.
A SUIVRE...